1er procès
L’action pénale jusqu’au procés
Une semaine après l’explosion de l’usine AZF, le Procureur de la République, Michel Bréard ouvre une information judiciaire sur les causes de l’explosion et les responsabilités: « Des chefs d’homicides et blessures involontaires par violation manifeste d’obligations de sécurité ou de prudence imposées par la loi ou le règlement, destructions, dégradations ou détériorations involontaires de biens appartenant à autrui, par l’effet d’une explosion ou d’un incendie.
- 18 mai 2006 : Mise en examen de la SA GRANDE PAROISSE pour avoir à Toulouse le 21 septembre 2001 : « Par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, en l’espèce, en n’ayant pas accompli toutes les diligences à la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement sous le régime de l’autorisation, la recommandation DMRS n°106 du 1er trimestre 1974 (Rubrique n°405 devenue 1330) et l’arrêté préfectoral du 18 octobre 2000. »
- 23 février 2008 : S’ouvre le plus grand procès jamais tenu devant un tribunal correctionnel en France. Serge Biechlin, le directeur de l’usine, et Grande Paroisse (AZF) en tant que personne morale, sont poursuivis pour homicides et blessures involontaires, destructions et dégradations involontaires par l’effet d’une explosion ou d’un incendie, et infractions au code du travail. La justice a fait aménager la salle Jean Mermoz pour accueillir un millier de personnes chaque jour pendant le procès: les avocats, les journalistes, 200 témoins, 1800 parties civiles et le public. Le procès va durer quatre mois.
Le verdict
Pour signifier clairement les positions de l’association sur le procès en première instance et sur le jugement, voici deux communiqués que nous avons publiés à ces occasions.
1 – Communiqué du 26 juin 2009 pour réagir aux réquisitions du procureur à l’issue du procès en première instance
“ Toulouse le 26 juin 2009
Au procès de l’explosion de l’usine AZF, l’audience du mercredi 25 juin était réservée aux conclusions de l’accusation. Le réquisitoire a été impitoyable. Dans un raisonnement implacable, les fautes de l’industriel ont été identifiées, analysées, et qualifiées pénalement. Ainsi, l’explosion de l’usine AZF s’explique par une erreur de manipulation, erreur qui est elle-même la conséquence de multiples dérives techniques, dérives techniques qui elles-mêmes sont les conséquences de la recherche systématique d’économies.
Sont venues ensuite les demandes de peines, et ce sont les sanctions maximales qui ont été demandées :
- rien contre le groupe Total et Thierry Desmarest
- 225 000 € contre la société Grande Paroisse
- 3 ans de prison avec sursis et 45 000 € d’amende pour Serge Biechelin.
La loi ne permet donc pas de rechercher les responsabilités des vrais responsables, de ceux qui imposent par une politique de groupe des restrictions incessantes sur la sécurité.
Pour ce qui concerne les personnes physiques, la loi ne permet de condamner que des exécutants, et à des peines non dissuasives.
Pour ce qui concerne les personnes morales, les sociétés, seule une coquille vide, Grande Paroisse encourt une peine, une amende de 225 000 euros, alors que les bénéfices déclarés du groupe Total pour l’année 2008 se montent à 14 milliards d’euros , soit sept millions de fois moins !
Pour mémoire, le groupe Total a transigé à 150 millions d’euros le silence de la SNPE, dont le témoignage.
Total ne se met pas hors la loi, non, car rien dans la loi ne permet de condamner les conséquences dramatiques de sa politique.
« C’est la loi qu’il faut changer. ”
2 – Communiqué du 20 novembre 2009 pour s’indigner de la relaxe générale qui a été prononcée dans le jugement.
Toulouse, le 20 novembre 2009
Relaxe générale au bénéfice du doute ! C’est dans la stupeur générale que le tribunal correctionnel de Toulouse a rendu sa sentence jeudi dernier 19 novembre au procès de l’explosion de l’usine AZF. D’abord la société Total et son PDG Thierry Desmarrets ont été mis hors de cause, parce que le magistrat instructeur avait refusé toute mise en examen les concernant, et que le tribunal n’entendait pas remettre en cause cette décision. Mais en conclusion de prés de deux heures d’explications, c’est également Grande Paroisse et son directeur, Serge Biechlin qui étaient également relaxés.
Pour les centaines de sinistrés présents dans la salle, ce fut l’incompréhension, la stupeur, puis la colère jusqu’à l’écœurement. Ainsi il peut y avoir 31 morts, 20 000 blessés, des paralysés, des aveugles, des sourds, 1000 appartements détruits, 50 000 endommagés, la quart d’une ville touchée, et pourtant pas de coupable.
Ce jugement ne peut être compris que comme un blanc-seing pour toutes les catastrophes à venir. Les industriels peuvent tuer, blesser, détruire en toute impunité.
Mais si le délibéré qu’a rendu le tribunal de Toulouse est ahurissant, ses attendus, c’est-à-dire la justification de ce jugement, ne le sont pas moins car en totale contradiction avec la décision finale de relaxe.
Le tribunal a commencé par une attaque en règle contre l’instruction publique, notamment parce que la scène du crime n’a pas été gelée, et « que le procureur a tenu des propos extravagants (sur l’accident sûr à 90 %)», ces deux faits ayant fragilisé l’enquête judicaire.
Puis concernant la responsabilité du groupe Total, le tribunal a affirmé que Total avait absorbé de fait Grande Paroisse qui n’était plus qu’une coquille vide, et que les documents remis par le secrétaire du CE montraient clairement que le directeur Serge Biechlin n’avait aucune autonomie de manœuvre.
Puis il a fait une charge très sévère contre l’attitude de la commission d’enquête interne constituée par Total, qu’il a accusé d’avoir dissimulé des faits, des pièces et des témoignages capitaux aux enquêteurs, dès les premiers jours de l’instruction. Le tribunal s’est emporté contre « une manœuvre grossière » des chimistes de Grande Paroisse qui auraient « cherché à tromper la religion du tribunal, démontrant là encore un parti pris fort éloigné de la recherche de la vérité ».
Les attendus du jugement critiquent ensuite le fonctionnement de l’usine AZF, pointant les « défaillances organisationnelles » de ce site, et ses « dérives », notamment dans la gestion des déchets et le recours à de nombreuses entreprises sous-traitantes non formées. Le tribunal s’étonne de la cohabitation d’un atelier de produits chlorés au sud de l’usine et de nitrates au nord, et s’inquiète de l’absence d’une barrière étanche entre ces deux produits chimiques, réputés incompatibles. Et il explique ces erreurs par le fait que toutes les études de danger n’étaient faites que pour des ateliers isolés, en n’étudiant jamais les échanges entre ces différents ateliers. La liste des critiques qui s’abattent sur le site est telle que le jugement prend des allures de réquisitoire.
Il estime très convaincant le scénario construit par l’enquête scientifique qui affirme qu’une benne blanche a été remplie de résidus d’une centaine de sacs a été déposée dans le sas du bâtiment 221, que des produits incompatibles qui s’y trouvaient mélangés ont explosés, initiant l’explosion des 300 tonnes de nitrates.
Il estime ce scénario très probable, mais il continue en déclarant dans un silence glacial que la justice a besoin de certitude, et que faute d’une preuve certaine, il devait relaxer au bénéfice du doute les deux prévenus.
Après avoir affirmé que le groupe Total a mis en place une commission d’enquête interne qui a dissimulé des faits et des pièces aux enquêteurs de la police judiciaire, il conclut à la relaxe justement parce qu’il manque à la justice les pièces que le prévenu a lui-même soustrait !
Dans cet imbroglio, il est difficile de comprendre le rôle de chacun, mais la conclusion s’impose à tous : l’industriel est blanchi de tout soupçon.
C’est une insulte à tous les sinistrés, et c’est un blanc-seing préventif à tous les exploitants des usines à risque.
Nous ne pouvons accepter ce déni de justice, et nous allons continuer à nous battre pour obtenir la condamnation de Total en appel. ”